La présomption irréfragable de connaissance des vices cachés ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du vendeur professionnel au procès équitable

La présomption irréfragable de connaissance des vices cachés ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du vendeur professionnel au procès équitable

Un vice caché correspond à un défaut d’une chose tel qu’il la rend impropre à l’usage auquel elle est destinée, ou qui diminue tellement cet usage que l’acquéreur ne l’aurait pas achetée ou l’aurait achetée à moindre prix s’il en avait eu connaissance.

L’article 1641 du Code civil dispose que « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus. »

Les articles 1645 et 1646 du même Code exposent le degré de restitution dont sera tenu le vendeur en fonction de la connaissance ou de l’ignorance du vice. Ils disposent respectivement que :

–  » Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu’il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur. »

– « Si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu’à la restitution du prix, et à rembourser à l’acquéreur les frais occasionnés par la vente. »

La jurisprudence de la Cour de cassation a toutefois mis en place une présomption irréfragable de connaissance du vendeur professionnel des vices cachés. Elle interdit au vendeur professionnel de prouver qu’il ignorait l’existence du vice.Dans cet arrêt du 5 juillet 2023, il va être question de l’application de cette présomption face au droit à un procès équitable.

En l’espèce, le 19 mai 2015, une société commande un tracteur avec pose d’une déchiqueteuse de bois. Cette même société estimait cependant que le moteur du tracteur était affecté d’un vice caché et a donc assigné la société venderesse professionnelle en résolution judiciaire du contrat de vente.

La Cour d’appel de Caen, dans un arrêt du 18 novembre 2021, faisait application du principe dégagé par la Cour de cassation. Elle avait prononcé la résolution de la vente et avait condamné la société venderesse à la restitution du prix de vente et à la reprise du matériel vendu, à ses frais. Pour justifier sa décision, la Cour d’appel utilise la présomption irréfragable de connaissance des vices cachés par le vendeur professionnel. (CA Caen, 18 novembre 2021, n° 20/01066)

Le vendeur s’est pourvu en cassation.

Ce raisonnement provient « d’une jurisprudence ancienne et constante » comme le dit la Cour de cassation. En ce sens, elle évoque des décisions datant de 1972, 2000 et 2021. Selon cette jurisprudence : il existe « une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, qui l’oblige à réparer l’intégralité de tous les dommages qui en sont la conséquence. »

Cet arrêt est original car le demandeur au pourvoi, la société venderesse, va tenter d’opposer son droit à la preuve à cette présomption irréfragable.

Afin de contester la décision de la Cour d’appel, la société venderesse affirme que cette présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel des vices cachés porte une atteinte disproportionnée au droit au procès équitable, et plus précisément, au droit de la preuve, fondé sur l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En effet, cette présomption l’empêche de prouver sa bonne foi ainsi que son ignorance concernant l’existence du vice.

La Cour de cassation doit faire face à cet entrechoc entre une jurisprudence établie et une disposition fondamentale. Pour ce faire, elle exerce un contrôle de proportionnalité pour justifier l’emploi de cette présomption irréfragable.

La Cour de cassation affirme que le caractère irréfragable de la présomption« répond à l’objectif de protection de l’acheteur qui ne dispose pas » des mêmes compétences que celles du vendeur professionnel. Ces compétences lui permettant «  d’apprécier les qualités et les défauts de la chose » contrairement à l’acheteur. Cette présomption protège l’acheteur contre les vices cachés, peu importe que le vendeur ait été de bonne ou de mauvaise foi, qu’il ait eu connaissance ou non de l’existence du vice. Puisqu’il est professionnel, il est tenu de « procéder à une vérification minutieuse » de l’objet avant la vente.

Ainsi, la Cour nous rappelle :

– D’une part, que le vendeur professionnel est présumé avoir eu connaissance de l’existence du vice et que cette présomption ne peut pas être renversée ;

– D’autre part, qu’elle l’oblige à réparer l’intégralité de tous les dommages qui en sont la conséquence, conformément à l’article 1645 du Code civil.

– Et également, que la présomption irréfragable « joue même lorsque l’acheteur est lui-même un professionnel ».

Ce raisonnement pourrait sembler contradictoire avec l’explication précédemment donnée. Tout l’intérêt de la présomption irréfragable réside dans la protection de l’acheteur face au vendeur professionnel. Dès lors, si l’acheteur se trouve être également un professionnel, est-il toujours en position de faiblesse face au vendeur ? Est-ce qu’il existe toujours un déséquilibre ?

La Cour ne fait aucune mention à ce sujet. Elle se limite à poser le principe.

La Cour de cassation conclu en affirmant que la présomption « ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du vendeur professionnel au procès équitable garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

cass. com, 5 juillet 2023, 22-11.621

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